Nous devons redoubler d’efforts pour faire émerger tout le potentiel caché des photographes de notre pays.
Fethi Sahraoui est photographe documentaire, il est membre du collectif 220, Il travaille sur le paysage social qui l'interpelle beaucoup et l’inspire en permanence. Amoureux de géographie et ayant un ferme intérêt pour la diversité sociale, sa curiosité vis à vis de son propre pays a été amplifiée durant la période qu’il a passé à Hassi R’mel sa ville natale, où il a rencontré des gens des quatre coins de l’Algérie.
© Fethi Sahraoui
Dans ses travaux, Fethi questionne l’injustice sociale, mais également les rituels et les habitudes, tout en s'intéressant à des questions plus sensibles et à des histoires personnelles, comme dans “ B as Bouchentouf ” où il raconte le combat de son cousin face sa maladie mentale.
© Fethi Sahraoui
Son intérêt pour la photographie est si grand qu’il lui a consacré son sujet de Master en Langue Anglaise dans lequel il mettait en valeur la contribution des photographes noirs américains au mouvement afro-américains des droits civiques aux États Unis: “The Contribution of Black American Photographers During The Civil Rights Movement”
Fethi photographie au format carré, en noir et blanc majoritairement. Ses photos sont très contrastées ce qui ajoute de la puissance à ses clichés. Son amour pour la photographie est suscité par les travaux de grands photographes, mais aussi du cinéma. Il a toutefois réussi à se détacher de toutes ses influences pour développer sa propre écriture photographique, traçant ainsi son propre voie.
Fethi a commencé par réaliser des photos individuelles avant de se rendre compte que ce qui l'intéresse encore plus que photographier des gens c’était de raconter leurs histoires avec des séries d’images. Il dit qu’avant d’arriver à ses premières séries documentaires, il a connu des tentatives ratées qui lui ont appris à mieux gérer le processus de production en se focalisant davantage sur la précision de la question traitée dans le documentaire, sur les moyens dont il dispose, mais aussi sur sa capacité à mieux gérer son temps. D’ailleurs une fois conscient des raisons qui l’ont empêché de finaliser ces projets documentaires, il arrive à se consacrer à trois histoires simultanéments : Stediumphilia, B as Bouchentouf et Escaping the Heatwave. Impressionnant ! Car le processus de production d’un travail documentaire nécessite de faire beaucoup de recherches, de se poser pas mal de questions, mais aussi de bouger beaucoup avant d’avoir un corpus (un nombre important de bonnes photos en rapport avec le thème choisi) exploitable.
Les projets de Fethi sont construits sous forme de récits concis. Ceci dit, plusieurs de ses images sont dynamiques car elles ne figent pas le temps. Lorsqu’on regarde ses photos, nous avons l’impression qu’elles s’animent. Il arrive à nous raconter l'avant et l'après de cet instant éphémère qu’il a capturé avec son appareil photo.
Dans les documentaires de Fethi, les images sont puissantes. Elles nous percutent. Parfois, il nous montre des espaces sans personnages, parfois des fragments qui suspendent le temps, ou qui le prolongent en fonction des photos précédentes. Un trait saillant de son style, sont ses photos de groupes d’individus placés partout dans le cadre, ce qui constitue sa façon particulière de composer. Il superpose les personnages sur différents plans sans qu’ils ne se gênent, captivant ainsi notre attention. Nos yeux se baladent dans le cadre en passant d’un personnage à l’autre.
En capturant des instants si beaux du quotidien le photographe ne cherche pas le sensationnel. Il nous donne un accès privilégié à des espaces que nous n’aurions peut être jamais connu sans lui et nous pousse à y réfléchir. Fethi est conscient de sa responsabilité de photographe.
© Fethi Sahraoui
Liasmine : Qu’as tu fait pendant ces 5 mois de confinement?
Fethi : Et bien cette période ne m’a pas beaucoup inspiré, je dois avouer. J’ai donc consacré mon temps à tout ce que je remettais à plus tard, comme créer mon site web… Mais le plus intéressant pour moi est que j’ai pu me replonger dans mes anciens travaux pour les analyser et voir ce que j’aurais pu faire autrement. Je parle là surtout des projets que je n’ai jamais terminé. J’y vois plus clair maintenant.
Liasmine : Comment es tu arrivé à la photographie?
Fethi : J’ai toujours eu un intérêt pour tout ce qui est visuel. Comme beaucoup de photographes, je faisais les photos de famille avec l’appareil photo qui trainait à la maison.
À ma première année de fac à Laghouat, j’avais hésité à me consacrer à la musique, mais je n’avais pas d’instrument pour m’entrainer alors que je pouvais me documenter sur la photographie, même si je n’avais pas les moyens d’acheter mon propre appareil photo. Et la photographie me permettait d’allier ma passion pour les images et ma curiosité sur la diversité de notre pays et du monde entier. Et puis ma grand-mère qui m’a éduqué me manquait beaucoup, ça a peut être contribué au fait que je m’occupais pour ne plus sentir ce manque. J’étais un peu déphasé. Y a aussi ma passion pour le cinéma. Je consommais des images, forcément à un moment j’ai voulu en créer aussi.
Liasmine : Et comment en es tu venu au documentaire?
Fethi : Je voulais apprendre à raconter des histoires. Et j’ai suivi une résidence sur la photographie d’auteur avec Bruno Boudjelal. Je n’avais pas pu produire à ce moment là, ce qui m’a poussé à me lancer le défi de réaliser ma première histoire juste après, il s’agit de “ Escaping the heatwave”.
Liasmine : Quel est le projet qui a été le plus instructif ou qui a été le plus dur à réaliser?
Fethi : Chaque documentaire a ses spécificités. La vie de photographe est intéressante de ce point de vue car il y a très peu de répétitions et les contraintes sont souvent différentes d’un projet à l’autre, ce qui fait que j’apprends de chaque projet.
Cependant on y réfléchissant bien, mon Projet B as Bouchentouf a été plus compliqué à faire que les autres, car la profondeur des questions liées à l’éthique pour ce projet était plus importante que dans mes autres projets. Je me suis demandé à plusieurs reprises si ce que je faisais était bien ou mal, si ça n’allait pas nuire à mon cousin ou à sa famille. J’en suis arrivé même à me demander si je n’utilisais pas cette situation en ma faveur, et ça même après avoir terminé la prise de vue. C’est grâce un peu au collectif que je me suis décidé à publier ce travail quand l’un des membres m’a dit: “tu fais de ton cousin un héro”
Liasmine : Peux tu me dire à quoi ressemble le quotidien d’un photographe documentaire?
Fethi : Je bouge pas mal et je rencontre souvent de nouvelles personnes. C’est sans doute pour ça que les gens romantisent ce métier. En réalité, je passe plus de temps à me documenter, en lisant et en faisant des recherches sur mon ordinateur et dans des livres qu’à faire des photos, je passe du temps à éditer aussi. En Réalité je passe 5% à 10% de mon temps sur le terrain tout le reste c’est de la réflexion. Et puis, il y a pas mal de stress, de précarité, et d’instabilité dans ce genre de métier. C’est un mode de vie “challenging”
Liasmine : Dernière question. Comment vois tu la photographie en Algérie?
Fethi : Je ne sais pas si on peut déjà parler de photographie algérienne, comme on dit photographie Britannique par exemple, mais je dirais que ça commence à bouger.
Nous avançons très lentement car les structures existantes et les quelques initiatives qui se font par ci par là ne suffisent pas. Nous devons redoubler d’efforts pour faire émerger tout le potentiel caché des photographes de notre pays.
Vous l’aurez compris c’est avec beaucoup de travail et de rigueur que Fethi a pu publier ses travaux dans de prestigieux journaux et magazines comme le Washinton Post ou le New York Times, et qu’il a exposé dans plusieurs pays à travers le monde. Aujourd’hui Fethi est membre de la Magnum Foundation fellowship.
© Fethi Sahraoui
Pour télécharger la version PDF c'est par ici
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