Dans ce genre de projet, j’interpelle l’observateur, je lui suggère un autre point de vue, je l’invite à se projeter ...
Nadjib Bouznad est un artiste, il photographie l’espace public, mais n’est pas photographe de rue. Ni photo-reporter d’ailleurs. Il dit qu’il est un photographe acteur et témoin de son époque. Il se décrit comme un fabricant d’images.
Nadjib photographie l’intimité de l’Algérie, ses images sont tantôt des murmures , tantôt des cris stridents. Il raconte des histoires dans un langage que seuls les initiés et les âmes les plus aguerries peuvent interpréter.
Sans même que ce soit explicitement montré sur ses photos, nous retrouvons dans les photos de Nadjib toute l'envergure de cette Algérie de paradoxes et de contradiction. En effet, ses photos en couleurs capturent les subtilités de “l’Algérianité” que nous ne voulons pas voir ou parfois que nous ne pouvons même pas voir. Il nous met face à notre déni de cette facette de l’ Algérie que nous préférons ignorer. Car trop dur à assumer, trop lourde à porter, trop difficile à analyser et trop compliqué à comprendre.
L’interprétation faite des photos de Nadjib me fait prendre conscience que les couleurs et les signes discrets tiennent une place prépondérante dans son écriture photographique. Les couleurs structurent son discours. Aussi, son propos est abordé par la superposition de plans photographiques, de formes et de personnages. C’est sa manière de nous décrire son pays, notre pays!
“Coup d’oeil 3likom” est l’un des premiers projets du photographe. Un projet expérimental, qui a commencé fin 2015. “Coup d’oeil 3likom” est un projet personnel, un journal de bord. Un quotidien imagé comme il l’explique. Ce projet lui permet de mieux comprendre la société dans laquelle il évolue et surtout d’analyser l’image que l'algérien(ne) se fait de lui/elle même, grâce aux différentes réactions qu’il reçoit en commentaires.
Avec plus de plus 1700 images partagées sur sa page depuis le début du projet il y a 5 années maintenant, il y a assez de matière pour comprendre sa façon de faire de la photographie et sa démarche artistique. Il aborde la réalité avec recule mais sans jugement, et il est toujours bienveillant envers les personnes dont il capture un instant de vie.
Nadjib est ce genre d’artiste qui, une fois son oeuvre terminée, la livre pour qu’elle trouve son sens absolu, il n’intervient plus pour expliquer le pourquoi du comment. Il laisse son oeuvre prendre vie et interagir avec le public. Il a d’ailleurs fait plusieurs fois don de ses oeuvres en exposant son travail sur les lieux photographiés le plus souvent dans des quartiers populaires ou des lieux publics habituellement privés d'interaction avec le monde de la photographie.
Nadjib serait comme une personne qui mangerait des fruits et qui reprlantrait leurs graines systématiquement, plus il prend, plus il donne.
© Nadjib Bouznad
Liasmine : Je sais que "Coup d'œil 3likom" est un projet qui dure maintenant depuis 5 ans. Comment les algériens qui te suivent réagissent à tes images?
Nadjib : J'aimerais d'abord souligner le fait que je reçois beaucoup de soutien de la part du public. Ce projet est d'ailleurs le siens ! De sa part, j'en vois de toutes les couleurs, j'ai droit à toutes sortes de réactions des plus normales au plus bizarres. mdr
Que ces réactions soient bonnes, sympas, agréables ou mauvaises m'importe peu car l'essentiel pour moi, c’est d'avoir le maximum de retours (le maximum d'informations à en tirer), sur notre vision des choses, sur ce qui pourrait nous représenter ou pas, sur ce qu'on accepte de voir ou pas...etc
Ces réactions m'ont aidé à développer ma démarche et d'autres projets en parallèle à coup d'œil 3likom
Liasmine : Est ce que cette expérience a changé quelque chose en toi ?
Nadjib : Cette expérience m'a appris à faire mon possible pour tout le temps garder un certain recul sur ce qui se passe autour de nous. Histoire de ne pas perdre de vue les choses essentielles.
Liasmine : Comment sauras tu quand va finir ce projet?
Nadjib : Au fond, le projet peut durer très longtemps, la société algérienne ne va pas disparaître du jour au lendemain ! nchallah ya rabi. mdr (que Dieu la préserve). Mais je crois que le moment est venu pour moi de marquer le coup, et de clôturer ce projet ou peut être lui donner une autre forme... J’y réfléchi en ce moment
Liasmine : Peux tu me parler un peu des projets que tu as exposé dans la rue ? Et me dire pourquoi optes tu pour cette démarche?
Nadjib : Exploiter l'espace public est pour moi la meilleure façon d'atteindre toutes les couches de notre société. C’est aussi de cette manière qu'on s'inscrit dans cet espace, dans le temps et donc dans l'imaginaire collectif, le projet “El beb” en est un bon exemple.
Via des installations photos (photo de porte) je célèbre la mémoire des lieux. Je chamboule les espaces. Il est dans la même lignée que les projets précédents dont la démarche est d’abord poétique et expérimental. “El beb” est une série d’intervention urbaines dont l’objectif principal est d’atteindre et d’adoucir le visuel quotidien et collectif des habitants des lieux où j’ai réalisé mes installations.
Dans ce genre de projet, j’interpelle l’observateur, je lui suggère un autre point de vue, je l’invite à se projeter ...
Liasmine : Comment es tu devenu un fabricant d'image? héhé
Nadjib : J'ai en background une petite carrière de 6, 7ans dans la vente, la comm et l'événementiel. Investir dans ma passion (la photo) était une manière de faire évoluer ma carrière professionnelle et surtout une façon de lui donner une nouvelle dimension entrepreneuriale....
Je considère aussi l'image/ la photo comme un outil de communication, comme un service à proposer, et comme de la valeur ajouté ! C'est simple. Quand c'est réfléchi et bien fait, ça crée de la richesse et pour moi, ma richesse c'est les images que je produis (que je fabrique).
Liasmine : Comment vois tu la photographie algérienne ?
Nadjib : La photographie en Algérie est en plein essor, on voit de plus en plus de photographes professionnels ou amateurs. C'est une très bonne chose. L'imagerie nationale est entrain de se construire, le photographe est devenu à la fois témoin et acteur de son époque. Les événements du 22 février 2019 et les mois qui ont suivi ont bien montré cela.
En même temps la photographie algérienne s'ouvre au monde, elle s'exporte. Mais... est ce qu'elle s'exporte de la bonne façon ? Moi je ne trouve pas. Elle subit les méfaits de la mondialisation, des tendances et des quotas, elle se standardise ! On vit une homogénéisation des cultures et des sensibilités ..., et si ça continue comme ça on ne pourra plus parler de photographie algérienne.
Elle doit être exporté dans de bonnes conditions et de la meilleurs façon. B'6ba3 ! Mais pour y arriver, elle doit être bien ancrée et solide au niveau local déjà. Il faut de bonnes conditions pour qu'elle puisse exister! Est ce que c'est le cas ? Est ce aussi du ressort du photographe ? Qu'en est il du public ? Est qu'on peut la dissocier de ce que notre société est entrain de vivre ? De nos jours qu'es qui représente l'identité algérie
nne moderne (niveau image)? À ces questions je n'ai pas encore les réponses, rani j'observe…
Liasmine : As tu quelque chose de plus à ajouter?
Nadjib : L'authenticité ! C'est sympa…
©Nadjib Bouznad
Pour télécharger la version PDF c'est par ici https://drive.google.com/file/d/1hzYCEmVSOs1YD3UklKkRWqfDPeWwU7WT/view
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